1914-1918

Il était une fois le village détruit de Béthincourt

17/08/2016

Il était une fois le village détruit de Béthincourt

C’est une vraie réappropriation du site du village détruit de Béthincourt que la municipalité souhaite réaliser à l’occasion du centenaire de la Première Guerre Mondiale et de la Bataille de Verdun

Le village détruit, entièrement recouvert par la forêt, est situé à quelques centaines de mètres à la sortie du nouveau village vers Malancourt. Il est classé en « zone rouge », car et c’est ce qui distingue Verdun des autres batailles « les destructions étaient telles que la reconstruction et la remise en état des cultures étaient impossibles. Aujourd’hui encore, la moindre fouille met au jour des débris humains et des obus non explosés. 

La RD 160 emprunte aujourd'hui le tracé d’une rue de l’ancien village : la Rue Haute. Avant la 1ère guerre mondiale, la route passait plus au nord. 

Dès la sortie du nouveau village, en direction de Malancourt, s’ouvre sur la gauche un sentier fléché « réserve incendie ».

Ce sentier était une ruelle nommée « Les Deuzes»


C’est à partir de cette voie, que commence notre découverte.

Un arbre arraché, couché par le vent, présente d’emblée sa souche, où dans l’entrelacs  des racines se mêlent des fragments de briques, de pierres et de tuiles qui témoignent de l’occupation humaine et de l’emplacement du village avant l’apocalypse.

Le sol meurtri, accidenté, révèle partout des pierres de construction, des fragments de tuiles canal (tige de botte) éparses, quelques tessons de poterie, des cratères d’obus, recouverts de mousse, de végétation basse et d’arbres. 

Le sentier mène tout d’abord à une entrée de maison, redécouverte lors de cette réappropriation des lieux, dont subsistent les deux bases d’un encadrement de porte en pierre de taille où est encore fixé le décrottoir, caractéristique de l’habitat rural du début du XXe siècle. C’est le seul élément « bâti » encore en place. 

A quelques pas, un fragment d’évier en pierre ou pierre à eau  repose à proximité d’une mare temporaire, alimentée par une source, sur le site de l’ancienne fontaine-lavoir de Harimé.

Le sentier traverse ensuite la partie ouest du village. Ce secteur a subi dans les années 90, une exploitation forestière « sauvage », qui, sans considération pour la mémoire  du  site, l’a ravagé davantage. Le bulldozer a poussé les pierres, façonné des monticules, nivelé et détruit les dernières traces, en place, de la fontaine de Harimé, dont il ne reste, aujourd’hui, qu’un alignement anarchique de  grosses  pierres de taille. 

La végétation est alors surprenante et témoigne de la persistance des peuplements anciens du village détruit : lilas, groseilliers à maquereau et autres arbustes de jardin, au milieu de ronces, d’orties, de frênes, de chênes et d’aubépines notamment. Un marronnier immense domine, dernier témoin qui ombrageait la place de la fontaine de Harimé

Au bout du sentier, un abri de mitrailleuse sous coupole bétonnée, épargné par les obus, dont la meurtrière bat la voie d’accès de Forges (à l’est). C’est l’un des deux ouvrages français disposés aux angles sud du village pour assurer sa défense. La construction de cette casemate est achevée le 18 août 1915, comme l’atteste la date gravée à l’intérieur. Plus contemporains, des dessins agrémentent le pourtour de la meurtrière, comme une scène de théâtre. Au plafond des stalactites. 

On rebrousse chemin pour reprendre le  parcours qui nous fait ressortir près du cimetière. Il constitue un point de repère incontournable puisqu'il ets situé à l'endroit où se dressait l'ancienne église. La cloche a été préservée, elle est exposée sur la place du village reconstruit. Il demeure également quelques vieilles croix du cimetière avant 1914.

Devant le cimetière sont implantés le plan du cadastre napoléonien de 1842 et le panneau pédagogique, financés par la Mission Histoire dans le cadre d’un projet fédérant les 12 villages qui ceinturent le Mort-Homme et la Cote 304 : « les deux piliers » sur la rive gauche de la défense de Verdun. 

La position stratégique de Béthincourt, au débouché du ravin de la Hayette, situé entre les versants de ces deux promontoires âprement disputés, explique, à elle seule, la destinée du village.

De l’autre côté de la voie communale, autrefois nommée la rue des Trois Bonnets, on découvre le second abri de mitrailleuse sous coupole bétonnée dont la meurtrière bat, cette fois, la voie d’accès de Malancourt (à l’ouest). Ce second ouvrage a été touché de plein fouet par un obus. Le sol de ce côté de l’ancienne rue, parsemé de cratères, est jonché de fragments de pierres de taille et de tuiles canal. Parfois, un élément de linteau cintré rappelle la présence d’une porte de grange, un terrier de renard dévoile l’entrée d’une cave et ça et la émergent des morceaux de ferraille, des barbelés et des éclats d’obus.

C’est tout ce qu’il reste du village détruit de BETHINCOURT. Village nécropole où les soldats disparus dans ses décombres se comptent par centaines.

A la faveur de la commémoration du centenaire, de nombreux contacts ont été établis avec des familles à la recherche d’un aïeul et marchant dans ses pas.

Le plus riche d’enseignement, sans doute, est ce contact avec Mme Viviane Le ROY qui a retranscrit les lettres de son grand-père, Jean GAILLAGUET. Originaire de la région toulousaine, il est affecté au 220e Régiment d’infanterie et combat du 5 au 9 mars 1916 à Béthincourt, au moment du déclenchement de l’attaque allemande sur la rive gauche de la Meuse. Les lettres envoyées à sa famille rapportent précisément les bombardements très violents de l’artillerie et les attaques d’infanterie auxquels le village est soumis, jusqu’à sa complète destruction.

Témoignage émouvant aussi de cette famille venue de Corrèze avec, dans un sac, un peu de terre du village de Pierre COMBE, soldat porté disparu à Béthincourt le 8 mars 1916, qu’elle dissémine dans un trou d’obus. En retour, cette famille prélève de la terre du village détruit de Béthincourt, dans lequel repose ce grand-oncle.

Coïncidence, Pierre COMBE est du 220e R.I, comme Jean GAILLAGUET qui raconte dans une de ses lettres, la terrible journée du 8 mars 1916. Pour mémoire, les pertes du 220e R.I  dans le secteur Béthincourt-Mort-Homme sont très lourdes, comme en témoigne l’état des tués, blessés et disparus les 4, 6, 7, 8, 9 et 10 mars 1916 (relèves montante et descendante comprises) : Tués 70. Blessés 171. Disparus 203.

Cette famille corrézienne a également déposé un pied de buis dans le cimetière, sur une stèle érigée à la mémoire du 37ème R.I. qui, encerclé, tient Béthincourt du 26 mars jusqu’à son évacuation, dans la nuit du 8 avril au 9 avril1916. Date à laquelle, le village est pris par les Allemands. Pertes du 37e R.I du 26 mars au 12 avril: Tués 57. Blessés 259. Disparus 689.

Dominique HENRY et Marie-Claude THIL